Christine Brotons
Éphéméride
AFGHANISTAN Août-Septembre 2021
Retour des Talibans
“Les puissants de ce monde redoutent ceux qui s’enivrent, répondit le Voyageur, à cause de l’allégresse, de la furieuse gaieté qui parfois brisent les idoles. Eux-mêmes ne s’enivrent jamais car ils se gavent de sang. Quiconque, dans sa vie, a goûté du sang d’homme, est incapable ensuite de supporter le vin. À celui-là, l’ivresse est fade, et sa vérité bien trop amère.
– Ô Madjnoûn ! Pourquoi le Prêtre du Haut Temple déteste-t-il ceux qui s’enivrent ? Pourquoi fulminent-ils contre la voix limpide des chanteuses, contre la souple grâce des danseuses ?
– Celui qui pousse les hommes à aimer la mort ne saurait prendre goût aux nourritures terrestres, aux fruits de la beauté vive. Celui qui invite à l’écoute outre-tombe, lui-même jamais n’ouvrira son cœur à la force qui danse, à la joie qui jaillit, à l’amour qui s’élève en chant. ”
Sayd Bahodine Majrouh (1928-1988, Afghanistan) Le Voyageur de Minuit
Ah, il nous faudrait une terre de joie
D’amour et de joie, de chansons et de vins
Et non cette terre où la joie est péché
Ô ma douce amie, fuyons !
Fuyons, ma bien-aimée !
Langston Hughes (1901-1967, États-unis) Notre terre
Meena Keshwar Kamal, poétesse féministe afghane (née le 27 février 1956 à Kaboul – assassinée le 4 février 1987 à Quetta, Pakistan, par les agents afghans du KGB)
Je ne reviendrai jamais
Je suis la femme qui s’est éveillée
Je me suis levée et me suis changée en tempête balayant les cendres de mes enfants brûlés
Je me suis levée des ruisseaux formés par le sang de mon frère
La colère de mon peuple m’a donné la force
Mes villages ruinés et incendiés m’ont remplie de haine pour l’ennemi,
Je suis la femme qui s’est éveillée,
J’ai trouvé mon chemin et je ne reviendrai jamais.
J’ai ouvert des portes closes par l’ignorance
J’ai dit adieu à tous les bracelets d’or
Oh compatriote, je ne suis plus celle que j’étais
Je suis la femme qui s’est éveillée
J’ai trouvé mon chemin et je ne reviendrai jamais.
J’ai vu des enfants sans foyer, errant pieds nus
J’ai vu des promises aux mains tatouées de henné en habit de deuil
J’ai vu les murs géants des prisons avaler la liberté dans leurs estomacs d’ogres
Je suis ressuscitée parmi des gestes épiques de résistance et de courage
J’ai appris le chant de la liberté dans les derniers soupirs, dans les vagues de sang et dans la victoire
Oh compatriote, Oh frère, ne me considère plus comme faible et incapable
Je suis de toute force avec toi, sur le chemin de la libération de mon pays.
Ma voix s’est mêlée à celle de milliers d’autres femmes qui se sont levées
Mes poings se serrent avec les poings de milliers de compatriotes
Avec toi, j’ai pris le chemin de mon pays,
Pour briser toutes ces souffrances et tous ces fers,
Oh compatriote, Oh frère, je ne suis plus celle que j’étais
Je suis la femme qui s’est éveillée
J’ai trouvé mon chemin et je ne reviendrai jamais.
Janvier 2022
La première page de cette année est dédiée à Jean-Paul, compagnon des Clés, parti trop tôt, trop vite.
Jean-Paul VASSEUR
disparu un 8 décembre 2021
Quand la vie a fini de jouer
la mort remet tout en place
La vie s'amuse
la mort fait le ménage
peu importe la poussière qu'elle cache sous le tapis
Il y a tant de belles choses qu'elle oublie
Jacques Prévert La belle vie in Fatras
Ukraine Russie Février 2022
Good morning Miss Neutron, how are you ?
Parfaite, souveraine, indifférente, la bombe atomique est le vrai Bouddha de l’Occident.
Immobile, elle repose dans ses silos, réalité à l’état pur et possibilité à l’état pur. Elle est la somme des énergies cosmiques et de la participation humaine à celles-ci, l’exploit suprême de l’homme et de sa destruction. Depuis longtemps la bombe n’est plus le moyen pour une fin, car elle est le moyen démesuré qui dépasse toute fin possible. Ne pouvant être un moyen pour une fin, il faut qu’elle devienne le médium de l’auto-expérience. Elle est un évènement anthropologique, une objectivation extrême de l’esprit de puissance agissant derrière l’instinct de conservation.. Si nous l’avons construite pour nous « défendre », en vérité, elle nous a apporté une incapacité sans pareille de nous défendre. Nous ne pouvons devenir plus méchants, plus intelligents et plus défensifs.
La bombe est le seul Bouddha que la raison occidentale comprenne. Son calme et son ironie sont infinis.
La bombe n’exige de nous ni combat ni résignation : elle exige que nous fassions l’expérience de nous-mêmes.
Nous sommes la bombe. La seule question est de savoir si nous choisirons la voie extérieure ou la voie intérieure - si le discernement viendra de la prise de conscience ou des champignons de feu au-dessus de la terre.
Peter SLOTERDIJK in Critique De La Raison Cynique
IRAN 2023
Marche pour l’Iran, à Washington D.C. Une manifestante porte du maquillage durant la marche en l’honneur de Mahsa (Zhina) Amini et de celles et ceux protestant sa mort en Iran. (Photo d’Allison Bailey / SOPA Images/Sipa USA) © REUTERS).
Ah ! Je suis accablée
Je vais au balcon
Et je passe mes doigts
Sur la peau tendue de la nuit.
Les lumières du lien sont éteintes.
Les lumières du lien sont éteintes
Personne ne me présentera au soleil
Personne ne m’emmènera à la soirée des moineaux
Garde le vol à l’esprit,
L’oiseau est mortel »
Forough FARROKHZÂD Iran 1934-1967
Sur la terre
Je regarde par ma fenêtre
Je ne suis rien d’autre que l’écho d’un chant
Je ne suis pas éternelle
Je ne cherche rien d’autre que l’écho d’un chant
Dans le cri d’un plaisir
Plus pur que le simple silence d’un chagrin
Je ne cherche pas un nid
Dans un corps qui serait comme une rosée
Sur le lys de mon corps
Ma vie une cabane
Sur ses parois
Les traits noirs de l’amour
Des gens de passage ont laissé
Des souvenirs :
Cœur percé de flèches
Flamme renversée
Points pâles et silencieux
Sur les mots mêlés d’une folie
Des lèvres touchaient les miennes
Une étoile naissait
Dans ma nuit étendue
Sur le flot des souvenirs
Pourquoi donc espérer une étoile ?
Voici mon chant
Pas moins joli, pas plus aimable
Celui d’hier et d’aujourd’hui
Traduit du persan par Laura Tirandaz et Ardeschir Tirandaz.
Octobre 2023 Attentat du Hamas
suivi par la riposte et le pilonnage d'Israël sur Gaza et sa population.
Les Palestiniens sont les Indiens d'Amérique d'aujourd'hui : Un peuple qu'il faut éradiquer pour prendre sa terre. Et personne (y compris les grandes puissances) n'y peut rien ...
La guerre en Ukraine continue, et personne n'y peut rien ...
en Afghanistan les femmes ne vont plus à l'école, ne peuvent plus sortir seules et sont à la merci d'un père, d'un frère, d'un mari,, et personne n'y peut rien ...
en Iran rien n'a changé ... et personne n'y peut rien
À Ma Mère
J'ai la nostalgie du pain de ma mère,
Du café de ma mère,
Des caresses de ma mère ...
Et l'enfance grandit en moi,
Jour après jour,
Et je chéris ma vie, car
Si je mourais,
J'aurais honte des larmes de ma mère !
Fais de moi, si je rentre un jour,
Une ombrelle pour tes paupières.
Recouvre mes os de cette herbe
Baptisée sous tes talons innocents.
Attache-moi avec une mèche de tes cheveux,
Un fil qui pend à l'ourlet de ta robe ...
Et je serai , peut-être, un dieu,
Peut-être un dieu,
Si j'effleurais ton coeur !
Si je rentre, enfouis-moi,
Bûche, dans ton âtre.
Et suspends-moi,
Corde à linge sur le toit de ta maison.
Je ne tiens pas debout sans ta prière du jour.
J'ai vieilli. Ramène les étoiles de l'enfance
Et je partagerai avec les petits des oiseaux,
Le chemin du retour ...
Au nid de ton attente !
Mahmoud DARWICH, né en 1941 en Palestine sous mandat britannique, mort en 2008 à Houston.
Il sera plusieurs fois arrêté et emprisonné pour ses écrits.C'est une des voix de la résistance palestinienne.
À Ma Mère est le premier texte de son recueil La Terre Nous Est Étroite (2000)
AFGHANISTAN
Shamsia HASSANI, née en 1988, première femme graffeuse, peintre, professeure d'université.
The secret
Nightmare
Death and Darkness Dernière oeuvre après que les Talibans aient pris le contrôle en Afghanistan.
2020 Des hommes armés attaquent l'université de Kaboul
Acte terroriste dans une maternité à Kaboul
MLF Mouvement de Libération des Femmes
6 août 1970
2024
Une étrange défaite Didier Fassin (extrait)
L'acquiècement à la guerre à Gaza et à ses conséquences tragiques rend pour longtemps illégitime et inopérante l'invocation des droits humains et de la raison humanitaire par celles et ceux qui ont participé à cette abdication morale (...). Le monde occidental - ou tout au moins la majorité de ses gouvernants et de ses institutions - aura apporté son soutien presque inconditionnel non seulement à l'élimination d'une large part de la population palestinienne, et notamment de la génération qui en représente l'espoir et l'avenir, mais aussi à l'effacement de tout ce qui fait l'âme d'un peuple, ses écoles, ses bibliothèques, ses librairies, ses musées, ses cimetières, ses édifices religieux, ses monuments historiques, ses centres culturels. Il l'aura fait en s'efforçant de réduire au silence, par l'intimidation, la stigmatisation et les sanctions, les chercheurs, les intellectuels, les étudiants, les artistes, les militants, les politiciens et, plus largement, les citoyens qui refusaient d'être associés à ce crime imprescriptible, tandis que, de son côté, l'armée israélienne faisait taire, en les éliminant, les universitaires, les journalistes, les écrivains, les poètes, les médecins et les humanitaires palestiniens. Les responsables des établissements français d'enseignement supérieur et de recherche, pourtant alertés par leurs membres qui ont protesté contre leur silence, ont rarement manifesté leur solidarité à l'égard de leurs collègues en Palestine, comme ils l'avaient fait à l'égard de leurs collègues en Ukraine après l'invasion du pays par la Russie, et ce, alors que l'armée israélienne détruisait les universités de Gaza, assassinait leurs présidents, leurs professeurs, leurs étudiants et leur personnel administratif et technique. (...)
"À court terme, il se peut que l'histoire soit faite par les vainqueurs". Depuis le 7 octobre, c'est bien l'histoire des vainqueurs qui s'écrit, tant par Israël sur le terrain, que par les pays occidentaux à travers la construction d'un récit dont les dissidences sont condamnées. Mais une autre histoire s'écrira probablement un jour. Elle mettra en perspective les décennies d'oppression et de résistance, de spoliation et d'espérance, de luttes pacifiques et de révoltes violentes, de culture restée vive au-delà de la passion destructrice. Une voix sera rendue aux Palestiniens, et avec elle une langue renaîtra. les mots retrouveront une signification. On ne dira plus "antisémitisme" pour demande de justice et de dignité. On n'osera plus affirmer que la vie des uns a moins de valeur que la vie des autres. On comprendra que la déshumanisation de l'ennemi est la perte de l'humanité de celui qui la prononce. Cette autre histoire ne sera plus animée par le mensonge et la haine, mais par une vérité et un espoir, comme le rêvait le poète palestinien Refaat Alareer, professeur à l'université islamique de Gaza, peu avant de disparaître le 6 décembre 2023 dans un bombardement ciblé de l'appartement où il s'était réfugié, chez sa soeur, tuée elle aussi, tout comme son frère et quatre de ses neveux et nièces :
Si je dois mourir,
tu dois vivre
pour raconter mon histoire
pour vendre mes affaires
pour acheter un morceau de tissu
et quelques ficelles,
(fais-le blanc avec une longue traîne)
pour qu'ainsi un enfant quelque part dans Gaza
en regardant le ciel dans les yeux
en attendant son père parti dans un éclat -
sans dire adieu à personne
pas même à sa chair
pas même à lui-même -
voie le cerf-volant, mon cerf-volant que tu auras fait,
flottant là-haut
et pense un instant qu'un ange est là
pour faire revivre l'amour.
Si je dois mourir
qu'il en naisse de l'espoir
qu'il en reste une histoire.°
°Le titre et le premier vers sont un hommage au poème "If we must die" de Claude McKay, écrivain jamaïcain-états-unien qui le composa en 1919 dans le contexte du Red Summer au cours duquel des personnes noires ont été victimes d'attaques racistes qui ont fait des centaines de morts. Faire voler des cerfs-volants est une activité prisée des enfants palestiniens.
Novembre 2024
Le monde s'assombrit et la terre tremble